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Vous trouverez ici les hauts et les bas de mes humeurs culinaires, des astuces de cuisine et des informations sur mes marchés. Bonne lecture!

Immortalité

Ce samedi 27 juillet, le marché d’été baignait dans une lumière voluptueuse pour ventricoles avertis. Un flot continu de visiteurs emportés par le plaisir de marcher parmi les étalages orgiaques des maraichers, des herboristes et des faiseurs de délices salés ou sucrés, donnait à l’évidence une réponse aux sceptiques et aux hésitants: nettement, le marché public est redevenu, du moins à Val-David, un petit village des Laurentides souvent en avance sur la belle province, le lieu-dit de la bonne chère, de la vraie chère, si on jugeait par le flot de jolies personnes qui s’y promenaient à demi nues. Ici, c’est normal, on est comme au jardin. On se détend. On goûte, on contemple, on tire des plans sur la comète aux petits pois. On s ‘écrase au bistro du marché pour parler de nos ancêtres ou des rejetons qui courent entre les garnottes. Tout est frais, irridescent pour la journée, autant en profiter, quitte à se lécher mutuellement les doigts en public. Ici sont rassemblés les merveilles goûteuses de nos terroirs. Le terroir, disent Joan, Jordi et Josep, de la famille Roca à Montserrat en Espagne, nous n’avons que ce mot là à la bouche. Naturellement, leur restaurant, le Celler de Can Roca, porteur de trois étoiles Michelin, classé cette année meilleur restaurant de la planète par Restaurants Magazine, de Londres, en est la preuve: on n’y mange qu’au rythme des saisons et des croissances locales. Même le roi Ducasse est emballé par ce que font les Roca: j’ai rarement vu dans des assiettes autant d’explosions de saveurs, dit-il dans Le Point. Évidemment, pour créer la timbale de pomme et foie gras à l’huile de vanille, il faut élargir ses horizons. Mais le principe demeure, à la manière d’Oscar Wilde: il faut rester simple et se contenter du meilleur. C’est sur cette base que nos chefs, à Val-David, à Tremblant ou à St-Lambert, se précipitent sur les produits fermiers à peine sortis de la terre ou du champ.

En réalité, comme ça toujours été le cas dans l’Histoire, j’observe que la prochaine révolution politique au Québec passera par le Ventre. C’est une voie étroite, pour l’instant, comme le chas d’une aiguille: se nourrir dans un périmètre restreint, nourrir les siens, assurer l’indépendance culinaire par l’invention, l’échange de savoir-faire, sur une matière première à proximité et d’une constante traçabilité. Nos élus n’ont pas encore compris l’importance de cela. Les fermes crèvent et devenir fermier au Québec est un défi impossible à relever.* Beaucoup donnent Big Brother gagnant. Athènes et Rome en leur temps paraissaient au-dessus de leurs affaires, comme ça, mine de rien. Jusqu’à ce que la grande pyramide de l’orgueil se mette à craquer par la base, car le peuple se fatigue de l’incompétence, à la longue. Ça fait bien une quinzaine d’année qu’on répète sur tous les toits en pente dans nos montagnes qu’un marché public, c’est une vraie place d’affaires pour les vrais producteurs. Mais il y a encore des clowns qui croient qu’un marché public, c’est un divertissement pour touristes. Faut dire que ce samedi matin, à Val-David, il y en avait, des touristes. Beaucoup d’entre eux n’en revenaient pas qu’un si petit village accueille plus de quatre-vingt fermiers et producteurs de la région, avec tous les produits qu’on puisse imaginer cultiver ou élever.

Simplement, on oublie que la vie est courte. Très courte et irremplaçable. Sans doute est-ce une bonne façon de la raccourcir davantage que de manger n’importe quoi, fait avec de la scrap en palettes, pour un bon prix. Mais après un petit tour au marché sous le soleil, on n’est pas long à comprendre que de mettre un trésor dans l’assiette, c’est participer à quelque chose qui nous rapproche, collectivement, de l’immortalité.

* Voir à ce sujet Dominic Lamontagne, www.en pleinegueule.com
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