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L’art et le temps

De tous les mystères fascinants qui enveloppent la Création comme, mettons, la pâte le beignet frit, il y en a un qui joue le même rôle qu’une toile d’araignée dans l’espace et qui finalement capture tous les êtres vivants, pour qu’ils y soient dévorés. Personne ne semble en mesure d’échapper au choc de cette rencontre avec cet inconnu absolu, quelque soit sa vitesse de vol. Et une fois dans les rets gluants du Temps, la seule conscience qui demeure possible du réel est celle de la distance qui sépare l’instant présent du claquement des crocs de la mort sur votre propre occiput. Réjouissant programme.

Mais heureusement, il y a dans le piège du Temps des interstices par où s’échapper. Ce sont de petits espaces étroits dans le quotidien, à peine visibles, sinon en fournissant un effort sérieux de concentration. Lorsque j’arrive à me glisser par l’un de ces passages intimes, je découvre que la Solution est présente dans chaque élément suspendu ici comme en un obscur musée intérieur. Et le plus fascinant, à chaque fois, est l’émergence au niveau de mon cerveau central du sentiment que tout ce qui se trouve dans ce lieu est immortel, parfait, entier, et qu’avec ma fin éventuel il ne sera ni détruit, ni rendu inaccessible, mais transmis. Un musée de l’âme, dans l’Esprit des lieux comme le concevait Lawrence Durrell, migrant de Rhodes à Alexandrie, laissant derrière lui un flamboyant mirage de femmes diaphanes et précieuses, et dans l’ombre des cabinets diplomatiques, la trace du plus beau Quatuor jamais assemblé pour la littérature. Ainsi, je suis enclin à explorer ces fragments de la beauté des choses, qui échappent à l’ordinaire, dans cet espace sans tictacs ni horloges, et généralement j’y reconnais le geste d’un ami, proche ou absorbé à travers l’œuvre elle-même, avec cette certitude que ma propre substance servira finalement à permettre le relais, avec l’aide des autres mutants qui, comme moi, seront saisis d’admiration pour l’œuvre, par une sorte de vibration que décrit le Bodhicaryâvatâra des bouddhistes comme l’Éveil, aux générations qui après nous auront besoin de ces signes pour faire face au Chaos. IMG_3434C’est ainsi que je reconnais dans le travail de mon ami Derouin l’une des manifestations constantes de l’Art, que j’ai questionnée du regard comme je n’ai jamais raisonné l’art de mon frère Claude, acquis par certitude et par osmose vibratoire sans doute, pour finalement comprendre que tout ce qui surgit de ces Territoires matériels est de la matière dont on fait les temps immémoriaux, avant d’en consacrer peu à peu le sens comme pour les reliques d’une langue secrète, essentielle à l’évolution. Dans mon musée, ils sont peu nombreux à garder avec les années toute leur luminescence. Certaines œuvres y entrent portées par de très vives émotions, pour éventuellement s’estomper doucement et se fondre dans les ombres et retourner au délire temporel, destituées impitoyablement par de nouvelles séductions. Celles qui survivent ont parfois l’air de rien, modestes comme la petite sculpture d’acier que Biscornet a fait surgir de sa poche hier, et qui m’a semblé contenir le rayonnement et l’essence même de ce qui doit survivre et éclairer notre route. Pour tout dire, en dehors de mon musée, il n’y a guère que dans les joies de la table que je ressente la perfection du monde, dans son fragile et fugitif équilibre. Le reste me paraît être le plus souvent un lieu où l’humour consiste à faire prendre à tous des vessies pour des lanternes, en particulier chez ceux qui ont la richesse et le pouvoir.
Depuis Eschyle et sa hantise de l’hybris, on sait que la passion et l’orgueil sont les piliers les plus fragiles de la Société humaine. Mais comme l’araignée tisse sa toile dès l’aube sur ce qu’elle trouve entre la rosée et les ramures, nous continuons de dresser le piège du Temps sur notre chemin, laissant à nos enfants le soin de trouver la force d’échapper à cette attraction. Ainsi nous serons sans doute capables un jour, par les voies intérieures conquises, de cultiver à notre goût le champ des étoiles. D’ici là, l’art véritable sera notre seule consolation.

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