Récemment, en couverture du Time magazine, édition européenne, on pouvait voir la photo des trois grands chefs Chang, Redzepi et Atala avec la mention: meet the people who influence what (and how) you eat. C’est sans doute vrai, si vous conduisez une Rolls et roulez sur l’or. Sinon, je dirais plutôt que celles et ceux qui influencent le goût des gens, leurs méthodes et leurs choix culinaires sont plus près de la terre. Et plus près de nous. Ce sont, en Europe comme en Amérique, des producteurs et des artisans fermiers qui cultivent le meilleur de ce que les chefs finissent par récupérer pour leur clientèle haute gamme.
Naturellement, ni ces producteurs artisans, ni moi, qui travaille à les faire connaître, n’avons les moyens de payer entre 750$ et 850$ par personne, même pas 250$, pour goûter à ce que les stars de la cuisine contemporaine concoctent. Et c’est là que le bât blesse. La grande cuisine est devenue une Olympe pour dieux seulement, où les femmes, comme le soulignait récemment Leslie Chesterman à Radio-Canada1,disparaissent derrière ces grands hommes ! C’est l’armée dans les cuisines? Oui, sans doute, dans les cuisines des étoilés de la casserole, désormais inaccessibles. J’ai encore le souvenir de l’époque bénie où je pouvais, sans avoir un compte de banque à sept chiffres, m’offrir un diner chez un de ces créateurs de saveurs. Aujourd’hui, oubliez ça. La facture dépasse le budget de l’amateur moyen accroc des délices gastronomiques.
Au Québec, notamment dans les Laurentides où je tiens deux marchés publics depuis douze ans, à Val-David et à Mont-Tremblant, les produits les plus fins, les plus frais, les plus gastronomiquement et biologiquement équitables sont légions. Et ce sont souvent des femmes qui sont à la source de cette révolution des palais qui, à mon avis, se fait davantage dans les fermes plutôt que dans les châteaux. Des exemples? Goûtez au bœuf Angus élevé sur les pâquerettes à Boileau par Isabelle Guibert, au poulet bienheureux de Diane Aubin (Ferme La Rose des Vents, Mont-Laurier) ou aux volailles biologiquement dodues de Diane Lelièvre, (de la Ferme Picardier, à Brébeuf), accompagnés des légumes bios de l’agronome et maraîchère Véronique Bouchard, de la Ferme des Petits Oignons, aussi à Brébeuf, arrosés de la Carminée ou du Rubicond de Margareth Pagé, du Verger du Clocher, à Saint-Antoine Abbé, et vous m’en donnerez des nouvelles. Oui, elles ont toutes un conjoint qui travaille sept jours sur sept. Pourtant elle sont un des piliers essentiels du développement de leurs entreprises.
Pas de femmes primées dans les grandes cuisines? Ce n’est pas un désastre. Elle sont là où ça compte, près des gens. Dans votre cour. Si vous vous donnez la peine de sortir des grandes surfaces battues, vous pourrez découvrir de nouvelles saveurs imaginées par des vraies passionnées du goût dans nos marchés publics, comme Édith Lachapelle, Jocelyne Decelle, Geneviève Vena, Sophie Leclerc, Marie-Louise Mohan, Vilma Vega, Josée Lanctôt, Guylaine Larose, Jucelia Pereira, Geneviève Varin, Paulette Dupuis, Chantal Conan, Johanne Crégheur, Danielle Hénault, Gabrielle Samson, Denise Richer, Jessica Coallier Robert, Léa Thouin, Sara et Ramya Porat, Natacha Dorval, Louise Valiquette, Claudette Hudon,les petites religieuses du Troupeau Bénit, Josée Ballard, Janick Choquette, Yolaine Lafrance…Pour ne citer que celles qui participent à nos Marchés de Noël. Les grands chefs et les grands magazines ? Il serait peut-être temps qu’ils redescendent sur terre. Les marchés publics2, ne seraient-ils pas finalement l’endroit idéal (et accessible) pour comprendre what (and how) you eat?
1. Chronique à l’émission Médium Large, le mardi 12 novembre 2013.
2. Marché de Noël de Val-David les 7 et 8 décembre et Mont-Tremblant le 14 décembre
Les infos sur: 
www.marchedete.com
