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Rocailles pour dîner

Le ciel est couvert mais ici et là, des percées de lumière traversent les nuages et tombent sur toute la gamme des verts du printemps laurentien. Avec les chatons dans les érables et les plumeaux sur les espèces qui drageonnent et fourmillent à hauteur d’homme, la soudaine poussée de sève qui fait virer les aiguilles des résineux à l’émeraude soyeux, les herbes qui se dressent parmi les corps ocres et gris, abandons de l’hiver en fuite, la table est mise pour des festivités incessantes au jardin. Une volée d’outarde passe en jappant au-dessus de la maison, comme à chaque printemps depuis plusieurs décennies, ici, où j’ai les mêmes racines que le pin que j’ai planté sur l’à pic sud de mon petit sommet intime et qui fait aujourd’hui un panache à 20 mètres du sol rocheux.IMG_3151 Pourtant, j’ai le cœur encore lourd des congères que la mort de mon frère, le premier jour de mars dernier, a laissé dessus. Il me semble que tout ce que je croise d’humain est désormais comme la monnaie canadienne : un peu transparent, un peu sali, un peu prétentieux. Un geai bleu s’est cassé la figure dans la vitre hier et lorsque je l’ai ramassé, j’ai pu constater qu’il était vêtu de son plumage de noces. En fait, tout fait la noce du printemps, ici bas, et nous allons faire de même. Pour le plaisir nécessaire et pour anesthésier la douleur inévitable. D’abord manger des fruits frais et boire de l’eau d’érable, puis trouver des asperges et des pousses de toutes sortes, et imaginer l’épaule d’agneau avec ses flageolets que Diane veut préparer pour la visite de René, Jeanne, Annie et Louis-Philippe, dans quelques jours. Choisir les élixirs qui accompagneront ces libations, dont la bonne tequila, à cause des souvenirs du Mexique de 1955, de Sequeiros, de Dos Passos, de Vargas Llosa et nous parlerons, entre les crus blancs et rubis, de Paris, où René a retrouvé Frédéric Jacques Temple, poète et grand gastronome, toujours, à quatre-vingt douze ans, venu de Montpellier avec son bagage de Cendrars, Miller, Durrell et autant d’auteurs portés disparus, mais lui encore pourvu comme nous le sommes encore de la trace indélébile dans l’âme que la joie des hommes de l’art laisse, à jamais, chez ceux qui les fréquentent. Nous serons entourés des tableaux de Claude, nous vivrons ce dernier printemps sur la Terre comme si ce devait être le dernier des derniers, et nous serons en amour avec le moindre bruissement de perdrix, la moindre dentelle d’aurore parmi les cèdres, le moindre sourire de nos amis, irremplaçables. Sur la grosse roche précambrienne, près de la cuisine, deux colombes feront comme chaque jour depuis une semaine un déjeuner de rocailles pour moudre les pousses trop vives ingurgitées avidement. Le chardonneret finira sa maison avec les brins de laine minérale qu’il aime venir voler dans le toit de la remise.

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